Il y avait six
couplets (certains bien pires) et elle les avait tous chantés. Le public rugissait de plaisir. Elle s’était dit ensuite que, si elle avait fait quelque chose de mal ce soir-là, c’était de chanter cette chanson, justement ce que les Blancs attendaient de la bouche d’une Négresse.
Encore une ovation tonitruante, encore des bis ! bis ! Elle était remontée sur la scène et le public s’était tu aussitôt : « Merci beaucoup. J’espère que vous me pardonnerez si je vous chante une autre chanson. Je ne pensais pas la chanter ici. Mais c’est la plus belle chanson que je connaisse, elle parle du président Lincoln et de ce qu’il a fait pour ce pays, pour moi et les miens, avant que je sois née. »
La salle était très silencieuse maintenant. Ils écoutaient tous. Sa famille était là, près de l’allée gauche, comme une tache de confiture de mûres sur un mouchoir blanc. « Grâce à lui avait-elle continué d’une voix tranquille, ma famille a pu venir habiter ici à côté de tous nos bons voisins. »
Puis elle avait chanté l’hymne national, The Star-Spangled Banner et tout le monde s’était levé. Plusieurs avaient sorti leur mouchoir et quand elle avait eu fini ils l’avaient applaudie si fort qu’on aurait cru que la salle allait s’écrouler.
Le plus beau jour de sa vie.